Les 9 étoiles du désert (16)

Par le 9 December 2010
dans Des histoires

Un paysage à méditer

Cet article est la suite d’une histoire qui a commencé ici.

La nuit tombe sur Tidène.

Madani père et Julien sont assis devant la fontaine. Les autres villageois vont et viennent, vaquant à leurs occupations. Mais le jeune courtier sent bien qu’on les surveille.

“Ce village existe depuis très longtemps,” dit Madani. “De temps en temps des archéologues viennent dans les environs avec leurs pelles et leurs pioches. A chaque fois, ils découvrent de nouveaux objets, de nouvelles gravures, de nouvelles peintures qui expliquent que cette région a été peuplée de tous temps.”
“Dans ce désert, ce ne devait pas être facile de vivre” répond Julien

Madani sourit.

“Non, avant, ici, il n’y avait pas de désert. Il y avait des forêts et de la savane. Tous les animaux que l’on trouve au centre de l’Afrique maintenant, vivaient aussi dans notre pays.”

Julien a du mal à s’imaginer Tidène avec de la verdure, des lions et des girafes.

“Beaucoup plus tard, il a dû se produire un changement climatique qui fait que cette savane verdoyante s’est transformée en notre Ténéré. D’ailleurs, il semblerait que nos ancêtres soient venus de l’est, de l’autre coté de l’Afrique.”
“Vous en savez des choses,” dit Julien.
“Quand les archéologues et les ethnologues viennent dans notre région, je les guide et le soir nous parlons.”

Julien se dit qu’avec Madani tout est simple. Il veut en savoir plus sur l’histoire ? Il parle aux chercheurs. Il a besoin de quelqu’un en particulier ? Il va à l’aéroport de Niamey et fait son choix.

“Depuis que le Ténéré est apparu, la vie pour nos ancêtres a été bouleversée. Ils ont dû rechercher les points d’eaux, seules sources de vie. C’est devenu comme un second instinct. C’est une question de vie ou de mort. Alors, petit à petit, en nous s’est formée cette capacité à voir des choses que vous ne pouvez pas.”

Madani fait une pause, regarde les derniers rougeoiments du soleil et reprend.

“Nous savons lire une dune, un paysage, un nuage dans le ciel. Ils nous parlent. Nous savons instinctivement où aller, quelle piste prendre, quand nous arrêter pour la nuit.”
“C’est dans vos gènes ?” demande Julien.
“Je ne sais pas car une grande partie de notre savoir vient de notre éducation. Regardez les enfants, tout le temps en train de courir autour du village. Petit à petit, ils apprennent à aiguiser leurs sens. Chasser les gerboises, contempler les étoiles, conduire les troupeaux, c’est la meilleure préparation pour devenir un vrai Touareg.”

Un petit coup de vent fait frissonner Julien. Les autres villageois ont disparu sous leurs tentes.

“Ceux de la famille qui émigrent vers la ville, vers Agadez, oublient ce savoir. Je trouve ça triste car c’est une partie de notre humanité que nous perdons.”
“Mais pour vous, la tradition continue, non ?” dit Julien, en se souvenant du talent de Madani le fils.”

Le visage de Madani père s’assombrit sous la pleine lune qui se lève.

“Chez les Sadeck, la tradition s’est arrêtée il y a longtemps, pour notre plus grand déshonneur.”

Le ton de sa voix est si triste que Julien en ressent lui-même du chagrin.

“Les Sadeck étaient une famille noble, respectée de tous et dont le savoir en orfèvrerie était inégalé aux quatre coins du désert. On venait de loin pour nous visiter, on savait que notre lignée était parmi les plus nobles de tous les peuples Touaregs.”

Les étoiles commencent à scintiller dans le ciel mais Julien ne les voit pas. Il est pris par le récit de Madani.

“Chaque grande famille possède des traditions particulières et la nôtre en avait une qui servait de rite de passage dans le monde adulte, là où l’on devenait un vrai Sadeck. L’ainé de la famille, vers 14 ou 15 ans, était emmené dans le désert et abandonné sans aucunes vivres, seul, avec sa monture.

Julien ne peut s’empêcher de réagir.

“Mais c’est inhumain. Vous lâchez un ado dans le désert sans nourriture et sans eau ? C’est bien une tradition du passé, ça.”

Madani ne réagit pas et poursuit son récit.

“Un jour, il y a de nombreuses générations, un de mes ancêtres ne revint pas. Notre famille perdit alors son honneur et même si on nous respecte toujours, je sais que ce n’est qu’une façade.”

“Pauvre garçon,” dit Julien, “il a dû mourir de soif dans le Ténéré. Vos anciens étaient vraiment cruels. C’est bien que cette vieille tradition ait disparue”.

Madani le regarde.

“Pour vous peut-être, mais pas pour moi. Bientôt vous repartirez dans votre pays où vous serez fêté par votre famille. Ici, je dois vivre avec le regard des autres sur moi.”
“Mais ce n’est pas de votre faute. Il y a longtemps, une stupide tradition a causé la mort tragique d’un enfant dans le désert et depuis, heureusement, elle a été interrompue.”

Madani secoue la tête.

“Vous ne comprenez pas. Je vous ai pourtant parlé de l’Ashak. Bravoure, générosité et respect de la parole donnée. Le garçon qui est parti dans le désert n’a pas respecté la parole des Sadeck. Il n’est pas revenu.”

Malgré le froid qui les encercle, Julien est très remonté.

“Bien entendu, qu’il n’a pas pu revenir, il en est mort. Foutue tradition oui !”

Madani tourne son regard vers la fontaine.

“Non, il n’est pas mort.”

Julien sursaute. “Comment ça il n’est pas mort ?”

“Un Sadeck ne meurt pas dans le désert. Nos connaissances nous permettent de survivre dans les pires conditions. Dans cette épreuve, on plaçait toujours l’enfant près d’un puits. Il lui suffisait de faire confiance à ses sens et il trouverait ce puits.”
“Il aurait pu être piqué par un serpent. Attaqué par un inconnu. Se blesser.”
“Non, c’est impossible. Vous regardez notre monde avec vos yeux d’Européen. Alors vous le jugez selon vos critères. Si vous étiez né ici, vous verriez les choses comme un vrai Touareg. D’ailleurs moi, quand je rencontre des touristes comme vous, j’ai souvent du mal à vous comprendre. Vous agissez d’une façon qui me parait souvent bizarre voire dangereuse. Sans doute que dans votre pays, c’est normal, mais ici, les règles sont différentes et aussi valables que les vôtres.”

Julien ne dit rien. Madani reprend.

“Pendant des millénaires nous avons réussi à vivre en harmonie avec le désert, qui est un monde impitoyable, alors vous pensez bien que nos règles s’y sont adaptées.”

L’apprenti-courtier hoche de la tête. Il commence à entrevoir ce qu’essaie de lui faire sentir Madani.

“C’est difficile pour moi de comprendre. Alors, vous pensez vraiment que ce garcon a pu s’en sortir.”
“J’en suis certain, Madani n’est pas mort dans le Ténéré.”

Julien sursaute.

“Madani ? Vous avez dit Madani ? Encore un ?”

Le visage de son interlocuteur se fige à nouveau.

“Oui, mon ancêtre s’appelait Madani. Il était, parait-il, le plus doué de sa génération. Il n’est jamais revenu et depuis, dans notre famille, chaque fils aîné de chaque génération porte son nom. Cela nous permet de ne pas oublier ce qui c’est passé jusqu’à ce que quelqu’un règle ce problème.”
“Mais pourquoi faire ? C’est du passé tout ça.”
“Pas pour nous. J’ai bien l’intention de résoudre cette énigme, d’effacer le déshonneur qui nous entache et de recommencer la tradition des Sadeck avec mon fils.”

Madani tourne à nouveau la tête et fixe Julien de ses yeux perçants .

“Et c’est pour ça que j’ai besoin de vous.”

(A suivre)

(Photo : HORIZON)

Commentaires

7 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (16)”
  1. Nathalie says:

    oula!! de plus en plus intéressant! que de mystère… 🙂 vive la suite 😉

  2. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Nathalie ! Si tu n’arrives plus à deviner la suite, c’est bon signe pour moi. 😉

  3. Jean-Pierre says:

    La clarté revient. peut-être faussement, peut-être pas.

    mais l’avenir de l’histoire demeure incertain.

    continuez !

  4. Je viens seulement, dans ma sombre lenteur d’esprit, de réaliser que ces étoiles du désert finiraient bien par nous faire un bon livre un de ces jours!

  5. Jean-Philippe says:

    @Jean-Pierre Merci pour tous ces compliments. 🙂 (avec un peu de retard !)

    @Julien Comme on dit, c’est “pas à pas” que cela se construit. 😉

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