Les 9 étoiles du désert (20)

Par le 6 January 2011
dans Des histoires

Sous cette vanadinite flamboyante se cache le secret d'Hatita...

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Dans un léger bruit d’ailes, quelques gangas vinrent se poser non loin des jeunes femmes, cherchant à même le sol, sec et sableux, d’hypothétiques graines.

Les larmes continuaient à couler sur les joues de Takamat.

Tin se glissa lentement aux cotés de sa servante. Elle allait pour lui poser un bras autour des épaules lorsque Takamat, brusquement, se redressa.

“Laissez-moi !” cria-t-elle, assez fort pour faire fuir les gangas.

Elle s’écarta de Tin et d’un pas décidé, remonta vers le village.

La princesse, interloquée, mit un temps avant de réagir et de rattraper Takamat. Elle lui prit le bras.

“Takamat ! qu’est-ce qui te prends ? c’était bien ça que tu voulais non, arrêter ce voyage ?”

Fermement, La jeune servante libéra son bras. Elle se tourna pour regarder sa maitresse. Ses yeux étaient plein d’une colère mêlée de larmes.

“Abandonner ? C’est ce que vous a appris votre père ? C’est ce qu’ont fait tous les ancêtres de votre noble lignée ?”

Le souffle court, elle fit une pause, cherchant ses mots, avant de reprendre, sèchement.

“Princesse Tin-Hinan, vous n’êtes pas digne d’eux !”

Takamat avait utilisé le nom complet de Tin, ce qu’elle faisait très rarement. Cette phrase blessa la jeune princesse. Non seulement Takamat prenait ses distances par rapport à leurs rangs respectifs, mais en plus, elle séparait Tin de ses propres pères.

“Mais, je croyais que…”
“Ne croyez rien. Je suis faible, je ne suis pas très courageuse mais si j’ai pu arriver jusqu’ici, c’est en suivant votre exemple. Vous avez toujours marché la tête haute, les yeux fixés sur Ahaggas et maintenant vous me parlez de renoncer ? Votre mère mérite mieux que ça.”

Tin sentit son cœur à nouveau se serrer. Takamat continua.

“Chacun vit sa propre vie. La sagesse d’Ighlaf correspondait à ce qu’il vivait, mais pour vous, princesse Tin-Hinan, un autre futur est écrit. Et vous voulez y renoncer ? Pour aller où ? Pour faire quoi ? Vivre une vie de misère ? Votre destin est de conduire les autres. C’est dans votre sang. Privée de vous, je me sentirai perdue, je perdrai la lumière qui me guidait.”

Sans attendre la réponse de sa maitresse, elle fit demi-tour et partit à grandes enjambées.

Cette fois-ci, Tin ne courut pas après elle. Elle avait compris. Elle s’était complètement trompée sur Takamat. Élevée auprès d’elle, par elle, grâce à elle, sa servante était devenue une  sorte d’objet familier auquel, Tin, avait prêté un caractère loin de la réalité. Elle s’était toujours attendue à ce que Takamat réagisse d’une certaine façon. Aujourd’hui, elle découvrait la bêtise de ses conclusions sur sa servante, qui se révélait enfin réellement.

Elle se demanda si son père avait réagi de même lorsque sa mère, la reine, était ainsi partie dans sa poursuite insensée d’Ahaggas. Avait-il été surpris ? Avait-il découvert sa femme, celle qui partageait sa couche depuis des années, sous un autre jour ? Avait-il réellement accepté que ses attentes d’une épouse douce et discrète soient balayées ?

Les héros et héroïnes se révèlent-ils ainsi, soudainement, eux-mêmes surpris par leurs décisions et actions ?

Tin soupira.

Elle entendit une pierre rouler. Elle se retourna et découvrit Hatita qui sortait timidement de derrière un rocher.

La jeune femme eut un sourire fatigué.

“Tu as tout entendu ?”

La petite fille hocha la tête. Ses yeux brillaient.

“Alors, vous êtes une vraie princesse ?”

Tin essaya de détourner les yeux mais Hatita s’approcha rapidement, lui prenant les deux mains.

“Au village, il y en a qui disaient que vous deviez être une personne importante. La façon dont Takamat vous parlait, vos réactions, votre façon de marcher, tout cela faisait penser que vous cachiez quelque chose. Ce n’était pas l’attitude d’une simple villageoise, disaient-ils.”

Tin, à nouveau, s’agenouilla pour faire face à la petite fille.

“Tu peux garder un grand secret ?”

Les yeux d’Hatita hésitèrent. Elle n’avait qu’une envie, c’était de courir jusqu’au village pour annoncer la nouvelle : une grande princesse vivait à Tamezguidat ! et c’étaient eux, les villageois qui l’avaient sauvée. Cet honneur rejaillirait sur tous et toutes ici. Mais en même temps, une vraie princesse lui demandait une faveur, celle de garder un secret.

Lentement, Hatita hocha la tête.

“Mais à une condition.”

Tin fronça les sourcils. Cette petite avait du caractère.

“Moi aussi, je voudrais vous montrer mon secret.”

A ces mots, la jeune femme sourit légèrement.

“C’est d’accord.”
“Mais, tout de suite…”
“Je dois parler à Takamat.”
“Elle peut attendre. Elle ne peut aller nulle part.”

Tin fut encore surprise par la vivacité d’esprit d’Hatita. Elle n’avait pas le choix. Bien qu’inquiète pour sa servante, elle se laissa entrainer par la petite fille.

Alors que la chaleur se faisait maintenant durement sentir, elles marchèrent parallèlement au lac vers les contreforts rocheux. Rapidement Hatita la guida vers une anfractuosité dans laquelle elle se glissa sans problème, ce qui fut plus difficile pour Tin.

Elles se retrouvèrent dans une sorte de toute petite cave bien éclairée par le soleil.

Le monde secret d’Hatita.

La petite fille lui fit signe de s’approcher et toutes deux s’agenouillèrent devant une grosse pierre noire.

Elle était d’une beauté à couper le souffle.

En fait, la pierre en elle-même n’était pas très belle mais, ça et là, elle se parait de joyaux comme Tin n’en avait jamais vus. Rouges orangés, aux arêtes nettes, d’un éclat exceptionnel, ces merveilles sculptées par la nature et le temps brillaient de mille feux dans la semi pénombre de la cave.

On les auraient dit taillés par la main de l’homme.

“C’est magnifique,” souffla la princesse. “Merci de partager ce beau trésor avec moi.”

Hatita tourna la tête vers la princesse.

“Non, ça ce n’est pas mon secret.”

Surprise, Tin ne sut pas quoi répondre.

“Des pierres comme ça, il y en a beaucoup par ici.”

La jeune femme hocha la tête ne comprenant pas qu’est-ce qui pouvait être plus exceptionnel que ces pierres couleurs de feu.

“Mon trésor, le voici.”

A ces mots, elle avança la main pour saisir la pierre noire qu’elle souleva et fit rouler sur le coté. Dessous, il y avait un bout de tissu plié. Hatita s’en saisit et le déplia lentement. Au creux de sa main apparut un petit objet de métal.

Tin ne put définir tout de suite de quoi il s’agissait. En se rapprochant, elle comprit. C’était une boucle d’oreille. Elle n’avait rien d’exceptionnel. Pas de belles pierres, rien.

“C’est ma grand-mère qui me l’a donnée,” précisa Hatita.

Après les magnifiques pierres rouge feu, Tin trouva cette boucle un peu décevante.

“Elle est belle,” dit-elle, essayant de ne pas décevoir la petite fille.

Cette dernière le sentit.

“Tu ne l’aimes pas beaucoup, c’est ça ? Pourtant, son dessin, là, est joli.”

Elle retourna la petite boucle pour révéler l’autre face du pendant sur lequel était gravé un signe.

A sa vue, Tin pâlit.

Ce symbole était unique.

C’était celui de sa famille.

(A suivre)

(Photo : Didier Descouens)

Commentaires

13 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (20)”
  1. Jonathan says:

    Salut,

    Je vais essayer de rattraper le train en marche en lisant les premiers épisodes ce week-end ! En tout cas c’est sympa de nous faire partager les histoires que tu écris.

    Jonathan
    http://cetaces.wordpress.com/

  2. Jean-Philippe says:

    Merci pour ton commentaire Jonathan ! Tiens-moi au courant car c’est un véritable challenge maintenant. C’est pas Cloudbraining ( http://goo.gl/ZndBX – Un seul but – Un pas chaque jour – 30 jours – ) mais avec 20 épisodes, ça s’en rapproche. 😉

  3. Joel says:

    La pierre précieuse qui cache un bijou de moindre valeur… C’est encore un dérivé de la phrase de l’épisode 18:

    “Les richesses changent. L’or peut perdre son attrait et le plomb peut devenir le plus riche des métaux. Une simple villageoise dans une oasis peut être une princesse dans une autre.”

    Je me sens mieux, elle ne va pas abandonner sa “quête insensée” et cela grâce à son entourage.

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Joel ! Souvent, dans des moments de doutes, c’est un proche, une amie ou même un inconnu qui nous donnent le courage de continuer un projet, un défi difficile. Il faut savoir les écouter et ne pas trop réfléchir. Aller de l’avant est toujours bon. 😉

  5. Joel says:

    De mon coté, Hatita n’aurait pas eu à demander 2 fois pour montrer son trésor, car je pense que les enfants méritent plus d’attention que le peu qu’on leur donne.

    Mais bon, le lecteur se croit toujours plus malin que le héro…

  6. Jean-Philippe says:

    Oui tu as raison Joel, on ne prête pas assez attention aux enfants.

    Un jour, j’ai demandé à un homme, extrêmement fortuné, que je connaissais, comment il s’y prenait pour avoir de bonnes relations avec ses trois enfants. Évidemment, il était très occupé à gérer ses affaires et voyageait beaucoup. Il m’a expliqué que lorsque l’un des ses enfants l’appelait sur son portable, il interrompait tout ce qu’il faisait pour l’écouter. Il suspendait la réunion du conseil d’administration – qui brassait des centaines de millions – ou il arrêtait un déjeuner, par exemple, avec un ambassadeur pour répondre à sa fille qui avait une question sur l’école.

    Comme il m’a dit, il voulait que ses enfants sachent que, bien qu’il soit trop souvent absent, ils étaient plus importants à ses yeux que toutes ses réunions et tous ses rendez-vous. Et, ses enfants avaient l’air d’avoir les pieds sur terre, sans grosse tête.

    Ce fut une leçon inattendue pour moi. 🙂

  7. Joel says:

    Cette histoire est marginale mais représente un modèle à suivre!

    Si une personne “importante pour ses affaires” a la possibilité de s’arrêter pour écouter ses enfants, tout le monde peut le faire sans pour autant mettre une quelconque structure en danger. Dans certaines entreprises, une personne qui téléphone 5 minutes par jour pour savoir si tout va bien et si ses enfants ne manquent de rien est mal vue… pendant que l’employeur OBLIGE cette personne a être présente sous peine de sanctions.

    Selon moi, c’est une aberration.

    Enfin, j’estime tout de même qu’un pompier en mission et un chirurgien en opération sont des cas particuliers.

  8. Jean Michel says:

    Bonjour,

    nous fréquentons tous les deux le blog de Mohamed et c’est là que j’ai fait ta connaissance et me voilà sur ton blog.

    Tes articles m’interpellent profondément et me donne à réfléchir.

    De façon plus anecdotique, je découvre que tu t’es toi aussi donné un défi d’écriture, voilà une raison supplémentaire pour moi de te suivre et me sentir moins seul dans mon propre challenge.

    Au plaisir de te lire,
    Amicalement,
    Jean Michel

  9. Jean-Philippe says:

    @Joel Tout a fait d’accord ! Cette anecdote est aussi intéressante pour moi parce qu’elle m’avait bien fait réfléchir à l’époque. Notre temps étant limité, on ne peut être partout à fois. Qu’est-ce qui était le plus important pour moi ? Quelques millions de plus (quand on en a déjà des centaines) ou plus de temps à la maison (grâce aux millions) avec mes enfants ? Tu connais ma réponse. 😉

    @Jean Michel Merci pour ton commentaire et ta visite ! Ton défi est fort et je te souhaite de le réussir. Tu es un peu comme Tin et Takamat dans le désert ! (que tu as sans doute connu) 😉

  10. Besma says:

    Salut Jean-Philippe,

    j’adore l’histoire,et j’aimerai savoir quand est ce qu’on pourrait lire la suite(j’ai hâte de la finir).
    Et je me demande bien si c’est un voyage chez les Touaregs qui vous a donné l’inspiration pour écrire ce magnifique texte,ou si c’est juste le fruit de votre imagination !

  11. Jean-Philippe says:

    Merci Besma ! Non, c’est juste le fruit de mon imagination car je n’ai pas eu encore l’occasion de visiter ces magnifiques régions qui sont fascinantes. Alors, j’y vais par écrit. 😉

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