Les 9 étoiles du désert (22)

Par le 20 January 2011
dans Des histoires

Le temps infini, absolu, sans fin.

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Combien de temps ?

Combien de temps faut-il pour qu’un homme perde conscience qu’il n’est pas seul au monde ? Combien de temps faut-il avant qu’il n’oublie que d’autres hommes vont et viennent quelque part, autour de lui, dans d’autres pays, d’autres contrées ?

Madani perdait peu à peu conscience de sa condition.

Après tout, était-il encore un être humain ?

Cela faisait des jours et des jours qu’il avançait dans le désert plat, chaud, implacable, sans aucune peur. Cela faisait longtemps qu’il avait oublié cette angoisse qui étreint les hommes s’attachant trop aux biens matériels, aux simulacres superficiels de la vie.

Madani lui, s’était débarrassé de ses dernières illusions comme on se débarrasse d’un vieux bernouz troué qui ne vous protège plus du froid, la nuit. Son père, qui l’avait laissé ainsi dans le désert, sa mère, sa famille, n’étaient plus que des images lointaines auxquelles il tenait certes, mais auxquelles il ne s’accrochait plus.

Il comprenait, malgré son jeune âge, que tout est passager.

Son échelle des valeurs changeait. Il ne considérait plus sa monture comme “son” dromadaire. Au fil des jours, il avait appris à le connaitre. Il était devenu son égal. Ils se comprenaient. Ils savaient où ils allaient. Parfois, le matin, avant de partir, ils se regardaient tous deux pendant un bref instant.

Dans les grands yeux noirs de sa monture, Madani voyait alors comme un compagnon qui s’enquérait de son état. Ensuite, tous deux regardaient au loin, dans la direction qu’ils savaient être la bonne et le dromadaire émettait un râle profond, très court.

C’était un peu le signal du départ.

Et la non-journée commençait.

A Tidène, il aurait passé sa matinée à aider ses parents et l’après-midi à jouer avec ses amis mais ici, toutes ces notions de division du temps n’existaient plus.

Balancé par le rythme régulier de sa monture, Madani s’immergeait dans un temps premier, ininterrompu, sans commencement ni fin, seule l’alternance du jour et de la nuit jalonnant rythmiquement son chemin. Il trouvait d’ailleurs que sa respiration se ralentissait. Parfois, il se demandait même s’il était encore en train de respirer, son souffle étant si lent et si ténu.

Ceci dit, il ne s’ennuyait jamais.

Il promenait très lentement son regard au loin et, savait maintenant repérer les animaux qui couraient et disparaissaient dans les sables. Ils étaient partout. A dire que son Ténéré, qu’il était en train de quitter, était surpeuplé.

Son esprit aiguisé par des journées sur le dos de sa monture à contempler l’horizon blanc, infini, absolu, avait noté une seule certitude. L’étoile brillante et assidue, qu’il avait déjà remarquée, était toujours sur son chemin, devant.

Chaque soir, avant qu’il ne s’endorme enroulé dans son bernouz, elle le saluait tout au raz de l’horizon et le matin, elle s’éteignait en douceur, alors qu’ils reprenaient leur voyage.

Un jour, il nota que les collines de rocailles surgissaient à nouveau, transperçant le tapis de sable et les petites dunes qui avait été leurs seuls compagnons pendant ces temps infinis, inachevés, comme d’un autre monde.

Quelque chose était dans l’air, Madani et sa monture le savaient, bien avant d’être arrivés.

L’eau.

Aman iman.

Il n’y eut pas de joie dans le cœur de Madani. Ni tristesse non plus. Simplement, se confirmait quelque chose qu’il savait être vrai au plus profond de lui-même.

L’eau était là, tout autour de lui, abondante. Avant, il ne la sentait pas. Maintenant, il allait vers elle lorsque c’était nécessaire. Plusieurs fois, leur route avait croisée cette effluve légère, virevoltante, insaisissable. Mais, ni lui, ni sa monture n’avaient dévié une seule fois de leur chemin pour se rafraichir.

Ils allaient là où ils se devaient d’aller et cette fois-ci, il n’y avait pas de doute, c’était bien dans cette direction que se trouvait leur prochain point d’eau.

Le soleil commença à décliner. Un nouveau jalon. Une nouvelle pause dans le confort de la nuit.

Madani laissa sa monture les guider. Son dromadaire n’hésita pas. Il contourna quelques rochers qui le firent déboucher dans une sorte de petit cirque à l’abri des vents.

Arrivé au milieu, il s’arrêta d’un coup, tournant son long museau vers la droite. Madani suivit son regard, sentant aussi quelque chose approcher. Son dromadaire ne donnait pas de signe de panique. Il savait déjà, ce qui allait venir.

Le jeune garçon se concentra, essayant lui aussi de comprendre. Oui, maintenant la sensation était encore plus pressante, impérieuse. Quelque chose de fort approchait, lentement. Il ne sentit ni de haine ni de peur. Non, c’était plutôt majestueux comme ressenti.

Instinctivement, Madani descendit de sa monture qui gardait ses yeux fixés sur la droite du cirque. Les deux pieds bien plantés dans le sable, lui aussi, il attendit. Tout autour d’eux, il sentit la vie se ralentir, non par peur mais par respect.

Madani entendit quelques cailloux rouler et, là où son dromadaire l’attendait, il apparut.

On aurait dit une grande gazelle, toute blanche. Mais cet animal imposait le respect. On sentait que son corps, bien que fin, était solide, musclé, noueux, sculpté pour la vie des grandes sècheresses. Son museau, légèrement plus foncé était barré de d’une grandes tache blanche qui passait sous ses yeux. le sommet de son crane était lui aussi recouvert d’un duvet plus foncé.

Mais ce qui imposait la révérence, c’étaient les deux longues cornes noires qui jaillissaient de part et d’autre de son crane, en deux traits parallèles. Fascinantes, elles s’enroulaient sur elles-mêmes comme un tourbillon de vent du sud pour s’élancer vers le ciel, infinies, immenses.

L’animal planta ses fins sabots dans le sable et les observa, immobile.

C’était le maitre des lieux.

Il allait décider, s’il les laisserait passer.

(A suivre)

(Photo : Macorig Paolo)

Commentaires

12 commentaires pour “Les 9 étoiles du désert (22)”
  1. Nathalie says:

    Un hippotrague?? magnifique 🙂 donc il y a de l’eau tout près ? 😉 fascinant !!

  2. Nathalie says:

    il m’a manqué le jeune Madani 🙂

  3. Jean-Philippe says:

    Hey Nathalie ! Je suis surpris par tes connaissances sur la faune animale. 😉

    Tu n’étais pas loin mais l’hippotrague vit dans la savane africaine. L’un des princes du désert, c’est l’addax qui est maintenant une espèce presque complètement disparue. La plupart des survivants vivent dans des zoos où évidemment, ils s’empâtent et oublient leurs connaissances ancestrales du désert.

  4. Nathalie says:

    Je me suis trompée 😉 j’aurais du vérifier avant 🙂 ils se ressemblent quand même 😉 merci pour tes précisions et les liens (addax et hippotrague)
    Et vivement la suite 🙂

  5. Jean-Philippe says:

    Oui, il se ressemblent beaucoup. La suite ? Tu sais quand c’est !… 😀

  6. Nathalie says:

    Jeudi 27/01/11 ? non 🙂

  7. Jean-Philippe says:

    Exactement, on ne peut rien te cacher. 😉

  8. cv1413 says:

    Impressionnant toujours tes articles. Malgré la longueur on est tenu en haleine pour aller au bout. Superbe la photo au passage.

  9. Jean-Philippe says:

    Merci pour les compliments cv1413 ! Pour la photo, je vois que l’expert a parlé. 😉 (La photo n’est pas de moi. Le lien vers le photographe est en bas de l’article.)

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