La femme sans peur (4)

Par le 11 June 2012
dans Des histoires

C'est la crise ?

Cet article est la suite d’une histoire commencée ici.

Trinity Silverman a les yeux fixés sur le grand miroir de la salle de bain.

Elle ne veut pas regarder ailleurs. Elle s’appuie des deux mains sur le lavabo pour se pencher en avant. Les fines bretelles noires de son soutien-gorge Ann Summers lui tirent un peu sur les épaules. Son ventre touche le rebord froid du lavabo et la fait tressaillir.

Ses pieds nus se tendent.

Elle reste ainsi quelques secondes, craintive. Malgré tout, elle veut se voir au plus profond d’elle-même, elle veut voir ce qui se passe dans ses yeux bleus inquiets, quand ça se produira.

Penchée en avant, elle attend. Prête.

Rien ne se passe.

Elle bat plusieurs fois des paupières comme pour se réveiller, comme pour revenir à la réalité.

Ces yeux sont toujours aussi clairs et limpides. Elle note la minuscule tache familière sur son iris droit qui fait qu’il parait toujours un petit peu plus sombre que l’autre.

Mais, pas de pupille qui se dilate, pas d’éclair dans le regard, pas d’excitation électrique qui lui ferait comprendre qu’elle est en train de se transformer en superwoman.

Soudain, elle se recule et ses pieds retombent sur la moquette blanche, épaisse.

La réalité c’est que, ce matin, dans moins de quarante-cinq minutes elle commencera sa conférence sur le nouveau logiciel de MetaForex et qu’elle n’est pas prête.

Et qu’elle a une belle gueule de bois.

Et qu’elle n’est pas encore habillée.

Enfin, pas tout à fait.

Elle réajuste sa petite culotte de tulle noire brodée, regarde encore son visage dans la glace, pousse un long soupir et retourne dans la chambre.

Sur le bord du lavabo, il y a un verre d’eau vide et un petite flacon blanc avec un bouchon rouge.

Trinity enfile rapidement son pantalon de tailleur gris anthracite, celui qui lui donne un air professionnel.

Elle s’assied devant son petit-déjeuner – livré sur un plateau – tout en essayant d’écouter la télé où sur CNBC, on débat au sujet de la dernière tendance du marché des devises.

Mais elle ne peut s’y intéresser, tout comme elle ne peut rien manger. Elle n’a pas faim. Le nœud dans son ventre est déjà là, grandissant, bien présent.

Elle ne peut plus se voiler la face.

Et si Paul Davenport avait abusé d’elle ? Et s’il ne lui avait raconté que des bêtises ? Et si les pilules ne contenaient rien ?

Quelle idiote !

Elle sent la colère monter en elle. Il faudrait qu’elle fasse analyser les comprimés pour savoir ce qu’ils contiennent.

Le présentateur annonce qu’il est 8h15.

La conférence commence dans une demie-heure. Hier, tout a déjà été installé et, ce matin, Jim, un technicien de MetaForex doit être en train de vérifier que tout fonctionne bien. Trinity n’a plus qu’à descendre avec son MacBook.

Elle enfile la veste de son tailleur, cachant les broderies noires de son soutien-gorge crème avant de retourner dans la salle de bain. Elle se regarde à nouveau dans la glace. Oui, elle a l’air professionnelle et sérieuse, comme d’habitude. Mais c’est dedans que ça ne va pas.

Dedans, il y a des remous, une tourmente, un tsunami.

Comme d’habitude, la peur panique surgit, bien présente, hachant, paralysant ses mouvements. Ces maudits cachets n’ont rien changé ! Trinity attrape le flacon et le jette dans la poubelle.

L’ignoble ! Le faux-jeton ! L’ordure !

Combien de fois s’est-elle déjà fait abuser comme ça ? Avec des promesses de paradis imaginaires ? De guérisons après traitement thérapeute ? De mieux être à la suite d’un programme de développement personnel ?

Mais là…

Elle a envie de pleurer mais, elle se reprend. Elle inspire très fort. Non, pas maintenant. Il y a une présentation suivie d’un question-réponse et elle doit assurer. Elle se force à respirer lentement et à grands coups par son ventre douloureux, pour tenter de calmer ces tremblements incontrôlables.

Ça va être une catastrophe, pense-t-elle.

Elle jette un dernier regard tout autour de sa chambre spacieuse – MetaForex a les moyens -. Son lit à peine défait, la télé qui annonce une nouvelle chute de l’euro, son petit-déjeuner qu’elle n’a pas touché et puis, une sorte de vanity-case noir, là-bas, sur le bureau.

En le voyant, ses yeux s’éclairent et elle s’avance pour l’ouvrir. A l’intérieur, il y a une boite, toute en plexiglas, elle-même entièrement entourée par une mousse synthétique protectrice. Trinity la prend, en glisse délicatement le couvercle percé de quelques petits trous, avant de s’asseoir sur le rebord du lit.

Un petit sourire se dessine sur ses lèvres.

Dans la boite transparente, il y a un petit trésor dans une sorte de jardin secret. Quelque chose qui fait grimacer ses copines et sa famille. Presque tous ceux et toutes celles qui découvrent sa passion secrète trouvent ça quelque peu dégoûtant. Même Tom, son dernier petit-ami n’a pas pu s’empêcher de grimacer, trouvant ça un peu répugnant.

C’est quelque chose qui lui est venu à l’adolescence, un jour qu’elle se promenait seule dans les bois, derrière la maison de ses parents. Et c’est la seule chose qui lui fasse oublier temporairement ses angoisses, en la calmant.

Elle aurait pu aimer les chats ou les hamsters, ou même les souris, ou pourquoi pas, les araignées.

Mais non.

Elle avance tranquillement la main dans la petite boite. Elle ne tremble plus. Elle touche la terre humide du doigt, vérifiant qu’elle n’est pas sèche. Dans un coin, il y a quelques lamelles de champignons à moitié grignotées. Dans un autre, une sorte de petit coquillage plat et vide.

Et puis un peu partout sur les parois, un filet visqueux.

(A suivre)

 

 

(Photo : MyEyeSees)

Commentaires

11 commentaires pour “La femme sans peur (4)”
  1. Jean-Pierre says:

    Ma fille a un doudou. Ça m’a l’air d’avoir un peu le même usage que ta bestiole. Et un peu les mêmes caractéristiques extérieures.

    Peut-être qu’elle a ramassé un vieux doudou perdu dans les bois, et qu’un vieux sorcier qui passait par là lui a donné la vie ?

  2. Jean-Philippe says:

    Merci Jean-Pierre ! Tu m’as bien fit rire avec tes histoires de doudou. Peut-être que tout est là dans le doudou… et sa symbolique. 😉

  3. Orphéa says:

    Ah si seulement une telle pilule existait… on serait bien embêtés !
    En tout cas j’ai hâte de savoir ce qui va arriver à Trinity 🙂
    Au fait c’est fait exprès que tu aies choisi le même prénom que celui de l’héroine de Matrix ? (rapport à la petite pilule aussi ?)

  4. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Orphéa ! Tiens, je n’avais pas fait du tout la relation avec The Matrix et en plus je parle de pilules… dont effectivement une lectrice pro comme toi ne manque pas de faire la relation. 😉

    PS : Ceci dit, mes pilules sont blanches…

  5. marie says:

    oh non je veux la suite , je veux la suite!!! je suis passionnée, je vis toute l’histoire !! c’est dur d’attendre!!! impatiente génial!!!

  6. Jean-Philippe says:

    Ah Marie, respire ! J’apprécie beaucoup tes compliments qui m’encouragent à donner le meilleur de moi-même (et sans pilules). 😀

  7. Super!! c’est le principe de l’ancrage emotionnel , non?
    Je prépare justement un ebook pour fin juin a ce sujet…!

    hate de voir ce qu’elle faire de son “ancre”!!

    Caroline

  8. Jean-Philippe says:

    Merci beaucoup Caroline pour ton commentaire. Pour le savoir, il faudra attendre la fin. 😉

    Mais tiens-moi au courant pour ton livre, ça m’intéresse. Tu as déjà un lien ?

  9. Mohamed says:

    Mais punaise, ils l’ont fait oui ou merde ??? mdr

    J’adore !

  10. Jean-Philippe says:

    Je vois Mohamed que tu poses les bonnes questions… en bon leader ! 😀

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