La femme sans peur (7)

Par le 21 June 2012
dans Des histoires

La voix de son maitre

Cet article est la suite d’une histoire commencée ici.

Le silence est palpable.

Chacun se regarde, incrédule.

Ce “stop” qu’on vient d’entendre et qui a éclaté dans les hauts-parleurs, il ne peut venir que d’une direction.

Du micro de Trinity Silverman.

Cette réalisation est tellement surréaliste, lorsque l’on connait la timidité et la discrétion de la jeune femme, que personne n’ose commenter.

Jim lui, les yeux ronds fixés sur Trinity, reste la bouche grande ouverte. Il enlève lentement ses écouteurs qui viennent de lui infliger ce “stop” à lui faire éclater les tympans. Oui, c’est bien elle qui vient de crier comme ça.

Au premier rang de l’assistance, Nick Burr est également surpris. Un petit peu déstabilisé même. Ceci dit, il se reprend vite et il va pour réagir afin d’utiliser ce silence à son avantage, lorsque sur le podium, il voit la jeune femme faire un mouvement.

Elle s’avance. Le golden boy est encore une fois stupéfait. Trinity, qui ne quitte jamais la bulle protectrice de son pupitre, la voilà qui marche vers le bord de l’estrade.

Les copains de Nick Burr se mettent soudain à le regarder, gênés. C’est vers lui qu’elle se dirige, d’un pas de plus en plus décidé. Instinctivement, il croise les bras.

Lorsque Trinity arrive au bord à gauche du grand podium, elle est juste en face de Nick, qu’elle domine.

Jim s’est levé de derrière sa table de mixage, éberlué.

Le silence est toujours aussi intense. On entend juste, dans les hauts-parleurs, la respiration de Trinity, lente, profonde, comme la première vague d’une marée d’équinoxe.

Elle lève le bras et pointe directement Nick.

“C’est bien vous, monsieur Burr, qui venez de me dire de le prouver ?”

Sa voix, toujours légère, contient pourtant une nouvelle force en elle. Le golden boy cligne des yeux, abasourdi. Ce n’est pas comme ça que les choses sont sensées se passer.

Ses amis s’empressent de hocher la tête.

“Je vois,” reprend Trinity, la voix posée. “Monsieur Burr médite sur son prochain investissement.” La salle se détend un peu.

La jeune femme se recule pour s’adresser de nouveau à tout le public.

“Entre le moment où monsieur Burr s’est aimablement exprimé et le moment où j’ai dit “stop”, savez-vous combien de secondes ce sont écoulées ?”

Dans la salle, on secoue la tête.

“Quatre secondes messieurs. Quatre !” Sa voix est montée d’un cran. “Quatre secondes contres lesquelles à MetaForex nous nous battons depuis plus de deux ans. Quatre secondes qui peuvent vous faire perdre des milliers de dollars, voire plus, sur les transactions éclairs.”

Un murmure d’approbation parcourt la salle.

La jeune femme marche vers l’autre bout de l’estrade tout en parlant.

“Et savez-vous combien de dixièmes de secondes nous avons pu gommer ? Combien de temps MetaForex 3.0 vous fera économiser ?” Sa voix est encore montée.

On entend quelques “non” dans l’assistance.

“Les tests ont été effectués par les représentants de la SEC, le gendarme de notre système boursier. Je tiens leur rapport à votre disposition. Alors, combien de dixièmes de seconde peut-on gommer lorsque l’on travaille extrêmement dur avec une équipe formidable sur un logiciel performant ?”

Nouveau grand silence dans la salle. Même Jim, qui ne s’intéresse pas du tout à la bourse, veut savoir. Oui combien ?

Trinity revient lentement sur ses pas et s’arrête à nouveau devant Nick Burr. Il serre un peu plus fort les bras.

“Monsieur Burr. Pour donner un exemple clair, faisons la démonstration ensemble. Redites-moi la même phrase que tout à l’heure, s’il vous plait.”

Le golden boy la regarde avec des yeux ronds. Ses copains le poussent du coude. Trinity sourit.

“Tout le monde attend, monsieur Burr.”

De nouveaux murmures – amusés cette fois – parcourent la salle de conférence.

Ce-dernier, se rendant compte qu’il est en train de se ridiculiser, décroise les bras, se redresse sur sa chaise, pointe un doigt menaçant et ouvre la bouche pour exprimer son mécontentement.

“Je ne…”
“Stop !!”

Une nouvelle fois le cri de Trinity a surpris tout le monde. Même Jim a encore sursauté. Et pourtant, il n’avait plus son casque sur les oreilles. La jeune femme profite du nouveau silence qui s’est installé.

“Voilà le temps qu’il faut pour confirmer une transaction avec MetaForex 3.0.”

Un murmure d’admiration parcourt le public.

“Oui, quinze dixièmes de seconde,” dit-elle lentement, “c’est tout ce qu’il nous faut pour valider votre position sur le marché des devises.” Elle regarde à nouveau Nick Burr, qui est tout rouge. “Un commentaire monsieur Burr ?”
“Oui, je…”
“Stop !!”

Elle regarde l’assistance qui sourit.

Vous voyez c’est simple, non ?”

Nick Burr enrage.
“Je veux…”
“Stop !!”

Cette fois-ci, tout le monde se met franchement à rire. Trinity enchaine rapidement.

“Rappelez-vous, à peine plus d’un dixième de seconde, c’est tout.” Elle repart vers son pupitre. “Voyons maintenant plus en détail les caractéristiques du logiciel.”

Jim se rassoit rapidement et réajuste son casque. C’est le signal pour lancer la deuxième vidéo de présentation. Dès que la musique se fait entendre dans les hauts-parleurs, Nick Burr se lève et, rouge de colère, quitte la salle.

Pendant que la vidéo joue, Trinity s’approche des marches de l’estrade, près de Jim.

Elle est souriante. Il lui fait un signe de la main pour lui dire que tout va bien. Elle lui répond d’un petit signe de tête. Elle est encore toute étourdie par ce qui vient de se passer. Elle ne tremble même plus. Elle est presque à l’aise. C’est incroyable, pense-t-elle, c’est un mira…

Et soudain, elle comprend.

Les pilules !

Paul Davenport n’a pas menti. Les comprimés fonctionnent au-delà de toutes ses espérances. C’est, c’est… irréel, magique ! Elle se sent bien. A l’aise. Elle a même envie de retourner devant le pupitre car elle sait déjà ce qu’elle va dire. Elle a confiance en elle.

C’est formidable, cette peur qui a disparue. Ça vous change une situation, Trinity vient de le voir avec Nick Burr. Jamais elle n’aurait pensé qu’elle aurait pu…

Et pourtant, c’est toujours elle, Trinity Silverman avec le même passé, les mêmes expériences. Juste quelques composés chimiques microscopiques qui ont été modifiés.

Mais… ça transforme une vie.

Une petite pilule.

Une petite pil…

Trinity se redresse d’un coup, comme si son corps avait pris une décharge électrique. Elle se frappe le front avec la main.

Les pilules ? Elles les a jetées dans la petite poubelle de la salle de bains et les femmes de ménage vont passer pour tout nettoyer. Elle voudrait arracher son micro et courir à l’étage jusqu’à sa chambre.

Mais elle ne peut pas.

Elle doit terminer sa présentation.

(A suivre)

 

 

(Photo : *MarS)

Commentaires

12 commentaires pour “La femme sans peur (7)”
  1. 10 euros qu’il n’y a rien dans ces pillules lol

    Encore bravo pour cette histoire JP

  2. Jean-Philippe says:

    …et si tu perds ? 8)

    (Merci pour ton soutien !)

  3. Ah le salaud, il va changer la suite de son histoire !!!
    Si tu changes rien, je te dois 10 euros si je perds 🙂

  4. Jean-Philippe says:

    Les jeux sont faits… 😉

  5. Damien says:

    … avec mon histoire d’artichaux, je ne peux pas jouer, car je vais savoir tout de suite… chaque choix a son revers… Je continue, c’est quand même bon !

  6. Jean-Pierre says:

    moi aussi je verrais bien du placebo dans ses pilulles. Mais Jean-Philippe a maintenant suffisamment de talent pour nous bluffer avec quelque chose de plus original !

  7. Philippe says:

    Bonjour Jean Philippe

    Il n’est pas trop tard pour te souhaiter une excellente année! avec plein d’histoires comme celle – ci !

    Trouverons nous un jour sur papier ton livre fini ? Je suis rester sur ma fin, a quand la suite ? j’en suis à 23

    je voudrais l’offrir à mon épouse!
    Ton héroine ressemble étrangement à ma chére et tendre! de grandes capacités, mais une peur imcontrolable d’avancer! Et également des réussites sans grande fierté grace à autrui !
    Cordialement

    Je suis rester sur ma fin, a quand la suite

    • Merci beaucoup Philippe ! A toi aussi. 🙂

      Oui, la version papier arrive et tu pourras l’offrir à ton épouse, ce qui m’honorera énormément. J’espère que cela l’aidera à comprendre qu’il faut qu’elle fasse confiance en ses beaux talents. 😉

      PS : Sur le blog tu peux lire jusqu’au chapitre 27 (pour l’instant) et le volume 2 arrive fin mars. 🙂

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