La femme sans peur (20)

Par le 8 October 2012
dans Des histoires


Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.

C’est Christina qui rompt le silence pendant que l’ascenseur monte au 5ème étage.

“On dirait que vous avez rencontré le diable…”

Le mouvement de tête de Trinity est vif.

“Non, le diable c’est moi.”

Chrisitina est surprise par le ton froid. Elle  ne comprend toujours rien mais se signe quand même. Trinity n’ajoute rien. Le “ding” retentit et les deux jeunes femmes se dirigent vers la chambre de la chef de projet de MetaForex.

Avant d’entrer, elle s’arrête et fixe Christina.

“Nous avons des choses plus importantes à faire maintenant. Ce qui va se passer doit rester entre nous. Vous me promettez ?”

Christina, encore plus décontenancée, fronce les sourcils.

“Oui… oui, bien sûr, si c’est important pour vous.”
“Ça l’est. Bien plus que vous ne le croyez.”

Elle glisse sa carte dans la fente de la porte et toutes les deux, pénètrent dans la chambre.

“Servez-vous un verre d’eau,” dit Trinity en disparaissant dans la salle de bains.
“Mais, je n’ai pas soif !”
“Faites-le.”

Le ton de Trinity est toujours sec, ce qui surprend encore la jeune Salvadorienne. Elle s’approche du bureau pour prendre une petite bouteille d’eau. Sur le bouchon, elle reconnait une forme familière. C’est Speedy qui profite du matin tranquille – jusqu’à maintenant – pour explorer de nouveaux territoires. Il a déjà parcouru de long en large la longue plaine ennuyeuse que constitue le bureau et a décidé de se lancer à l’assaut des montagnes environnantes.

Alors qu’il se réjouissait d’avoir atteint le sommet, tranquille, voilà que quelque chose le saisit par la coquille. Il connait ces senteurs. Il sait qu’elle ne sont pas dangereuses. Mais quand même, il était bien là-haut et proteste avec véhémence.

Christina approche de ses yeux le minuscule escargot qu’elle a saisi délicatement entre ses doigts. Il est vraiment curieux, pense-t-elle, en regardant sa longue coquille, qui ressemble à une tresse, et le petit corps humide qui s’agite dans tous les sens avant de se rétracter.

Une sorte de minuscule rasta avec une seule “root”.

“Voilà,” murmure la jeune Salvadorienne, ne t’inquiète pas, je te remets chez toi.” Elle dépose doucement l’Euxina Circumdata dans sa boite de plexiglas. Immédiatement, Speedy prend la poudre d’escampette, au rythme d’un escargot.

Dans la salle de bains, Trinity se regarde dans le miroir. Elle tient entre ses mains le flacon à bouchon rouge. Elle observe le récipient qui contient les pilules. Elle se regarde à nouveau et, d’un coup, hoche la tête.

Sa décision est prise.

Elle rejoint Christina qui l’attend à la table, assise devant son verre d’eau.

Sans un mot, Trinity s’assied à son tour, ouvre le flacon, fait rouler un des comprimés dans sa paume et le tend à la jeune Salvadorienne qui fronce encore plus les sourcils.

“C’est… c’est quoi ?”
“Ce soir, vous pourrez parler à votre ex. Vous n’aurez pas la moindre peur, je vous le promets. Vous lui ferez comprendre fermement qu’il doit disparaitre de votre vie et de celle de votre fille ou qu’il en subira les conséquences. Dites lui bien que la prochaine fois, c’est avec la police qu’il devra s’expliquer. Il va sentir votre détermination. Il vous obéira.”

Elle avance un peu plus sa paume ouverte.

“Buvez, vite. Avant que je ne change d’avis.”

Un peu hésitante, Christina prend la pilule. Elle regarde Trinity droit dans les yeux.

“Je peux vous faire confiance ?”
“Vous pouvez.”

Des que la Salvadorienne met la pilule dans sa bouche, Trinity ferme les yeux malgré elle. Lorsqu’elle les ouvre à nouveau, Christina est en train de finir le verre d’eau. Cela lui donne un petit pincement au cœur.

“Et maintenant ?” demande Christina.
“Dans 30 minutes, vous sentirez les premiers effets. Et vous n’aurez plus peur. De rien.”

Il y a un petit silence dans la chambre.

“C’est bien ça que vous recherchiez dans la poubelle ?”

Trinity hoche la tête.

“Et je suppose que je ne peux pas en acheter quelque part ?”
“N’y pensez même pas. De plus, c’est le seul flacon que je connaisse.”

Elle le secoue pour faire tinter les comprimés.

“Et ce sont les dernières pilules que je possède.”

La jeune Salvadorienne se rend compte maintenant de la valeur du geste de Trinity.

“Vous n’auriez pas dû. Je suppose que vous en avez besoin autant que moi.”

La chef de projet de MetaForex secoue la tête.

”Il faudra bien que j’apprenne à vivre sans. Et vous aussi. Demain, l’effet aura disparu.”

Christina hésite une seconde et puis se lance.

“Vous en avez pris une là ?”
“Oui.”
“Pourtant votre réaction dans le lobby…”
“Si je n’en avais pas pris, je crois que….” Trinity voit une lueur de curiosité qui s’allume dans le regard de la jeune Salvadorienne. “…et ne me posez plus de questions !” se reprend Trinity.

Christina a un petit rire.

“Vous me connaissez si bien ? Et vous voyez, je ris déjà, je me sens mieux… la pilule fait son effet.”
“Non, là c’est plutôt votre subconscient qui vous fait croire ça.”
“Je vous assure… c’est vraiment étonnant !” Elle se prend doucement la tête entre les mains. “C’est comme si la peur s’évaporait. C’est… c’est… miraculeux !”

Elle fait un petit signe de croix et, les yeux brillants, regarde à nouveau Trinity.

“Merci, du fond du cœur. Vous êtes comme un ange gardien.”

Les paupières de Trinity papillonnent devant le compliment. Ses traits s’adoucissent. Elle baisse la tête, gênée.

“Je prierai pour vous,” ajoute Christina.

Elle se lève, prend l’une des mains de la chef de projet entre les siennes et la serre très fort.

“Merci,” murmure-t-elle encore avant de vite quitter la chambre.

La porte claque toute seule.

Trinity ouvre l’autre main. Elle tient toujours le petit flacon blanc.

Soudain, elle ne sait plus. Une vague d’émotion la saisit et des larmes apparaissent au coin de ses yeux. Elles roulent doucement sur ses joues. Avec ses doigts, elle les écrase mais d’autres apparaissent et glissent encore plus vite dans le sillon creusé par les premières.

En haut de sa boite de plexiglas, Speedy s’est arrêté. Bien décidé à repartir à l’assaut de ses montagnes, il allait se lancer lorsqu’il a “senti”.

Dans sa panoplie de senteurs, les phéromones qu’il vient de humer, il ne les aime pas beaucoup. Il sait que ce sont juste des odeurs qui font partie de la palette de la vie mais celles-ci lui ôtent toute force. Elles lui donnent envie de se recroqueviller au plus profond de sa coquille et de ne plus en bouger.

Il reste là, hésitant, entre ses désirs de conquête et ses doutes. Il est tellement concentré qu’il n’a pas vu venir ce doigt qui le touche délicatement. Et puis, l’index se tend devant lui comme un pont qui s’étend vers l’infini.

Speedy n’hésite pas et vaillamment, s’élance.

Ses antennes inférieures touchent un sol qu’il connait bien mais, cette fois-ci, très humide, amer et salé. Il se met immédiatement au travail. Un travail titanesque, une mission chimérique pour un escargot si petit. Mais Speedy n’en a que faire et il aspire de toutes ses forces ses senteurs de détresse pour les faire disparaitre.

(A suivre)

(Photo : abung)

Commentaires

4 commentaires pour “La femme sans peur (20)”
  1. Celine says:

    Encore encore !!! j’ai attendu que le 20 soit publié pour lire le 19 (puis le 20 bien sûr !) Merci !

  2. Pirate ger says:

    merci…
    je vais prendre un livre en attendant la suite
    avec impatience

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