La femme sans peur (23)

Par le 1 November 2012
dans Des histoires

 

Cet article est la suite de la saga de Trinity Silverman, commencée ici.

Le réveil sonne.

Trinity s’étire doucement sous sa couette et pousse un soupir.

La seule chose qui lui vient clairement à l’esprit, c’est le visage carnassier de Nick Burr. Elle a beau se cacher au plus profond de son grand lit, ses yeux de furet sont toujours sur elle.

Sa première réaction est… vite, une pilule !

Et puis, elle se rappelle. Aujourd’hui, elle doit en économiser une. Rien que d’y penser, elle angoisse encore plus. Elle commence à trembler. Son ventre se tord.

Il n’y a rien à faire pour qu’elle puisse se calmer.

Soudain, elle se redresse, s’assied sur son lit et se parle à voix haute, comme elle le fait souvent lorsqu’elle veut se reprendre en main.

“Trinity, tu vas arrêter ? Tu n’es plus une enfant, tu n’as plus à craindre ta mère. Ressaisis-toi ! Tu es une femme comme une autre, avec ses succès et ses échecs mais tu n’as rien à craindre de personne… j’ai bien dit, personne !”

Elle inspire un grand coup.

“Voilà, respire,” continue-t-elle. “Tu le sais bien que tu devrais pratiquer la méditation. Combien de personnes te l’ont déjà recommandé ? Il va falloir t’y mettre ma fille !”

Elle continue à inspirer et expirer à grands coups, lentement. Cela lui fait penser à courir. Cette idée la fait frissonner. Sortir ? Même tôt le matin, cela l’inquiète au plus au point.

“Pourtant il va bien falloir que je sorte à un moment ou un autre. Mais pas aujourd’hui.”

Satisfaite de sa décision, elle se glisse hors du lit pour aller faire sa toilette et se brosser les dents. Dans la salle de bains, elle a un regard pour le flacon blanc au bouchon rouge qui trône sur le côté du lavabo. Mentalement, elle se dit encore non.

Elle enfile un peignoir blanc et, de retour dans sa chambre, elle commande rapidement un petit-déjeuner. D’un coup, elle repense à Speedy, se rappelant qu’elle ne lui a rien donné à manger hier.

Le pauvre ! pense-t-elle.

S’asseyant devant la boite en plexiglas, elle cherche son petit ami sous les quelques feuillages. Elle aperçoit la jolie et longue coquille torsadée mais aucune trace de Speedy. La bordure de la coquille, le péristome, est d’ailleurs tourné vers le haut, ce qui n’est pas normal pour un escargot.

Sauf s’il est mort.

“Oh non !” souffle Trinity qui sent une nouvelle vague d’inquiétude monter en elle. Mais cette fois-ci, elle se ressaisit vite.

Elle approche une main sûre pour saisir la coquille avec délicatesse. Entre deux doigts, elle soulève le petit colimaçon étiré. Speedy est caché dedans..

Vivant ?

Elle tourne doucement la coquille pour l’examiner et note une fine marque vers le milieu. En approchant les yeux, elle repère une fissure et aperçoit, derrière, le corps de Speedy encore humide.

Elle souffle, un peu plus rassurée.

Son ami est toujours là et bien vivant.

Elle sait qu’il va secréter ce produit qui constitue sa coquille – du carbonate de calcium – pour refermer cette “plaie”. Ainsi, les escargots même “cassés” ont la capacité de colmater les brèches occasionnées par d’autres animaux qui ont essayé de les briser pour les manger.

Mais elle va lui donner un coup de main.

Elle le repose doucement et traverse la pièce pour aller prendre dans sa valise sa trousse de secours, spéciale gastéropodes quand soudain, on frappe un grand coup à la porte. Elle se fige au milieu de la pièce alors que son cœur se met à nouveau à battre plus fort.

“Room service !” crie une voix joyeuse de l’autre côté de la porte.

Trinity se relaxe. Cette voix, elle la connait bien.

Elle ouvre la porte en grand et là, devant elle, se tient Christina, un grand sourire illuminant son visage. Sur l’immense plateau, il y a même une belle rose, orange et rouge, plantée  dans un verre d’eau.

“Eh bien, je suis gâtée aujourd’hui,” dit Trinity.
“C’est normal !” lui répond la jeune salvadorienne en entrant. “Lorsqu’on a un ange dans sa vie, on le bénit.”

Trinity rougit un peu et suit Christina jusqu’à la grande table du salon.

Cette dernière dépose le grand plateau sur la table et en voyant le contenu, la chef de projet de MetaForex ne peut s’empêcher de réagir.

“Mais… je n’ai pas commandé tout ça !”
“Aujourd’hui, c’est moi qui vous offre le petit-déjeuner.”
“Non, il ne faut pas…”
“Et pourquoi pas ? Vous m’avez bien aidée. Je me suis aussi permise de prendre une boisson pour moi, vous permettez que nous le prenions ensemble ?”
“Évidemment, asseyez-vous… et puis, racontez-moi !”

Les yeux brillants, Christina prend le temps de s’asseoir, de se servir un peu de café et de prendre un croissant.

“Votre pilule est fan-tas-ti-que ! Je ne vois pas d’autre mot. Hier soir, quand mon ex est arrivé, je ne tremblais pas, je n’avais pas peur, je savais exactement ce que j’allais lui dire. J’avais une confiance inébranlable en moi.”

Elle s’arrête pour mordre dans son croissant.

“Et alors ?” s’impatiente Trinity qui boit un jus de fruit banane-ananas.
“Alors ?” tente de répondre Christina, les lèvres pleine de miettes. Elle fait un signe pour indiquer qu’elle doit d’abord avaler les bouts de croissants qui sont dans sa bouche. Elle reprend ensuite une gorgée de café pour bien faire descendre le tout.

“Alors ?…”, dit-elle encore une fois en souriant.

Trinity se fâche un peu.

“Arrêtez de me faire marcher !”
“D’accord, pardon. Tout s’est exactement déroulé comme prévu. Il a tellement été surpris par ma réaction qu’il n’a pas su quoi dire. Je crois même qu’il a eu peur lorsque je lui ai parlé de la police. Alors, il a tout accepté. Tout !”
“Vous voyez, je vous l’avais dit.”
“Oui, vous aviez raison. C’est incroyable. Mais moi, je suis surtout heureuse pour Célestina. J’avais tellement peur. En espérant maintenant qu’il respecte sa parole parce que… je n’ai plus de pilules…”

Un silence gêné se fait dans la grande chambre.

“Je sais,” répond Trinity, “mais… nous devons apprendre à vivre sans. Vous voyez, aujourd’hui je n’en prends pas.”
“Et ça se passe comment ?”
“Plutôt bien.”
“Et quand vous allez sortir ?”

Trinity rougit encore et baisse la tête, regardant sa tasse de thé.

“Je… je n’ai pas l’intention de sortir d’ici aujourd’hui.”
“Ah oui ? Et ce n’est pas un peu tricher ça ?” répond Christina avec un petit sourire.
“Oui mais c’est ce que je peux faire de mieux en ce moment,” répond Trinity en fixant son amie, droit dans les yeux avant de les détourner à nouveau.

Les deux jeunes femmes restent silencieuses. Le regard de Trinity se porte sur son bureau. Elle y aperçoit la boite en plexiglas.

Et son cœur fait un nouveau bond.

“Oh… j’ai oublié Speedy !”

(A suivre)

(Photo : roboppy)

Commentaires

6 commentaires pour “La femme sans peur (23)”
  1. MarieBo says:

    Et allez hop ! Une pilule pour Speedy peut-être ?

    Je … n’en … peux … plus … de tout ce supense.

    À quand la publication sur Kindle ?

    Oh ! Terrrrrible Jean-Philippe !

    Amicalement (mais pas trop … tant que tu n’auras pas publié, hein )

    MarieBo

  2. Amibe_R Nard says:

    Tu veux nous tuer speedy ! (criminel ! :o) )

    Ah l’empathie avec l’animal, pour nous faire comprendre quelque chose. Trinity est super speedée dans sa vie, super angoissée, Speedy est tout son opposé. Où est le juste milieu ?

    Trinity va-t-elle perdre son alter ego calme et tranquille ?
    Va-t-elle adopter la tactique de l’escargot pour maîtriser ses angoisses ou succomber à l’appel de la chimie ?
    Quel suspense.

    En tout cas, tu tiens bien ton public. 😉
    l’Amibe_R Nard

    • L’Amibe, ce que j’aime avec toi, c’est que tes analyses poussées des “acteurs” de mes histoires me permettent de comprendre des choses que je ne voyais pas. Donc je te le répète, tes commentaires sont précieux… plus que tu ne le penses. Merci ! 😉

  3. EstherColmeZem says:

    Toujours aussi poignante, la femme sans peur. j’aime beaucoup Trinity et Christina.ce sont elles deux, les principales actrices. Les autres personnages apparaissent et disparaissent dans les textes. A la prochaine aventure que j’attends avec impatience.

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